1944, un Noël pas comme les autres
Récit de mon grand-père, prisonnier STO.
24 décembre 1944 là bas ! bien loin … très loin dans ma Vendée profonde, dans mon pays bien aimé où j’avais laissé tout mon coeur, on se préparait à fêter Noël. Et je me morfondais dans cette Allemagne Nazie, dans cette galère où je fus embarqué malgré moi, dans ce Reich qui tremblait sur ses bases et qui risquait de nous entraîner avec lui dans sa chute.
Lünebourg ! petite ville romantique avec ses clochers et ses maisons à colombages était un lieu où peut-être, il eut fait bon vivre en d’autres temps. Mais son ciel était peuplé de forteresses vrombissantes qui, jour et nuit semaient les ruines et la mort. Une population civile stoïque et résignée et des militaires devenus hargneux et arrogants par la perspective de la défaite. Et nous les STO, dans notre triste baraque d’exilés assis sur les maigres paillasses de nos châlits, nous évoquions les perspectives d’un Noël encore raté pour cette année. Chacun racontait à sa façon les plantureux réveillons des Noël d’antan, et j’en rêvais tout haut, des fastes de mes Noëls Vendéens, oui là bas ! dans ma Vendée libérée où chacun a remis son âme à neuf.
Les cloches de minuit vont éparpiller sur la campagne leurs notes cristallines pour annoncer la naissance de l’enfant Dieu. Pourquoi ne pas aller ce soir même chercher la paix et la sérénité de l’âme à la petite chapelle Catholique Lünebourgeoise l’Eglise n’est -elle pas universelle.
Ma suggestion souleva un tollé général. Mes copains de piaule, de braves.. Parigots.. bien gentils mais pas calotins pour deux sous se sont gaussés ouvertement. Aller se confesser à un CHLEU faut-être complètement dingue. Mais ma parole, te voilà devenu collaborateur. Mais j’y tenais à mon idée, voilà pourquoi ce soir là 24 décembre 1944, dans la pénombre de la petite église je me trouvais sur la file des pénitents attendant anxieusement mon tour, me voici agenouillé dans le confessionnal. La petite trappe de bois s’ouvre en coulissant. Une confession trilingue …prélude Latin Confitor Deo omnipotenti Beatoé Maria Semper Virgini etc … etc. Puis, sans transition, j’enchaîne dans la langue de Goethe, lisant une feuille que j’avais préalabement rédigée, la liste de mes fautes, vénielles bien sûr, mais il faut bien s’accuser de quelque chose si vous voulez être absous.
Ouf ! ça y est ! je m’en suis pas trop mal tiré…pensais-je. Et levant les yeux vers la petite grille, j’aperçois enfin le visage de mon interlocuteur. Un vieux curé aux cheveux blancs, aux traits burinés. Un vétéran de 14 18 ….pensais-je .Il semblait absorbé dans une méditation qui se prolongeait ce qui ne manqua pas de m’inquiéter. Enfin, je vis mon confesseur écarter le col de son surplis, plonger la main dans la poche de sa soutane. il en retira un petit livret qu’il se mit à feuilleter assidûment. Puis la question fusa, gutturale certes, mais en Français cette fois…. Afez vous folé………traduisez ….avez vous volé? J’en tombais des nues et ce fut à mon tour de garder le silence face à un examen de conscience à refaire. J’avais pensé à tout, sauf à ça. Volé, pensais-je, bien sûr que non ! je n’aurais jamais osé volé ne fut-ce qu’une épingle à mes camarades de camp, mais c’était évident, en d’autres circonstances? Bien sûr que oui. N’ allions nous pas de temps en temps au clair de lune à nos risques et périls faire des razzias de pomme de terre dans les silos des paysans ou bien s’approvisionner en charbon dans le dépôt de la REICHBAHNN. Je réfléchissais à toute allure …. volé non .. Butin pris à l’ennemi ….oui..
Mais? Etait-ce prudent d’aller s’en confesser à un CHLEU.. fut-il prêtre ! J’ai donc préféré répondre …non ! nein! ..et ainsi j’ eus droit à mon absolution de NOEL. Mais en reprenant le chemin du camp, je me sentais l’âme un peu vaseuse c’était encore, c’était toujours la guerre ! Je n’ avais pas pleinement retrouvé cette paix, cette sérénité promise aux hommes de bonne volonté. Et je termine mon récit en évoquant un refrain de ….? Je ne sais plus quel chanteur contemporain : mais qui remue si bien toutes les inquiétudes et toutes les aspirations du monde moderne.
Quand les hommes s’aimeront d’amour, Il n’ y aura plus de misè…è..re, les soldats seront troubadours, mais nous ! nous serons morts ..mon ..frè…è..re
FELIX MOREAU, Treize-Septiers
STO service du travail obligatoire