Histoires anciennes en Vendée
Histoire ancienne de Vendée
Les pêcheurs de grenouilles
ah! ces pêcheurs de grenouilles … ces bourgadins vadrouilleurs et sans gêne…
toujours en quête du moindre trou d’eau, de la moindre mare. Durant toute la saison d’été, ils écumaient la campagne ne vous croyez surtout pas dans le collimateur de mon récit si, d’aventure, vous êtes un chevalier de la gaule ce que je vais vous raconter c’est une histoire ancienne elle se situe aux environs de l’année 1932, j’avais 10 ans à peine. C’était l’époque bénie où je n’étais qu’un petit paysan en sabots et culotte courte chaque dimanche matin, avant d’aller à la grand-messe, je gardais les vaches au pré et je m’amusais souvent près de la grande mare qui servait d’abreuvoir à notre troupeau comme j’aimais la regarder vivre notre vieille mare avec sa flore et sa faune aquatique, tout un monde mystérieux s’y agitait avec mon bâton de berger, je taquinais cette gente batracienne qui chaque soir au clair de lune nous donnait sa sérénade croassante et sonore. Mais de quel droit, des étrangers des intrus viendraient-ils périodiquement sans même nous demander la moindre autorisation … raballer nos geurnouilles ! je vous le demande bien.
ce dimanche matin, j’étais donc plongé dans ces pénibles réflexions lorsque je vis surgir au détour du chemin la silhouette d’un cycliste chevauchant son engin crotté et ferraillant. je reconnus aussitôt mon visiteur c’était le père Alexandre le père Léxandre était rempailleur de chaises ce qui lui valait le sobriquet de Père Lachaise fin pêcheur de grenouilles,il avait pareil il un don pour les charmer puisqu’il était un peu sorcier sec comme un manche à balai, le père Lachaise comme disait mon grand-père… la graisse le géne pas bérède… en ce temps là on ne parlait pas encore des triglycérides ni de cholestérol
lorsque je me remémore ce squelette de bonhomme. j’en déduis que les cuisses de grenouilles sont peut-être l’antidote de ce mal moderne
le bonhomme s’est arrêté, il me fit un clin d’œil je vis le frémissement de sa moustache grise esquivant un sourire puis il porta la main à la visière de sa casquette pour me saluer c’était gentil si vous voulez mais ça ne présageait rien de bon. il a posé sa bicyclette au bord du buisson libéré le fil enroulé en spirale autour de sa ligne tout était fin prêt pour l’opération tantôt à droite tantôt à gauche l’homme évoluait à pas feutrés autour de la mare. je restai légèrement en retrait suivant avec curiosité et émerveillement les savantes évolutions de la gaule maniée par des mains expertes la petite houppette écarlate dansait, tressautait frémissait parmi les macres et les lentilles d’eau et les grenouilles… ces idiotes lui couraient après et hop…d’une …et de deux …et de trois
l’une après l’autre elles s’accrochaient au bout du fil pour venir atterrir à tous les coups dans la main calleuse de l’homme. Lui, à chaque prise, sortait de sa poche de pantalon une paire de ciseaux rouillés et sectionnait cruellement le pauvre batracien au niveau du bas-ventre, ce qui intéressait c’était les cuisses, bien sûr mon Dieu. Quelle horreur! j’en étais malade de dégoût !
Dix minutes s’écoulèrent à cette cadence puis les prises devinrent plus rares quelques échecs. Enfin le pêcheur abandonna sa sinistre besogne l’air satisfait il se mit à enfiler les cuisses dans un brin de jonc puis, me montrant complaisement la brochette. il m’expliqua l’opération préliminaire à son futur régal faut y l’ver lla pê pis les mettre dans l’vinaigre…ô tue le vrin…(venin)
lorsque je fus enfin seul, je revins sur les lieux du drame, tristesse et désolation partout sur la terre battue du chemin, des dizaines de grenouilles affreusement mutilées mais étonnement vivantes se dressaient sur leurs pattes de devant leurs yeux saillants me regardaient d’un air implorant et je fus saisi d’une immense pitié je m’agenouillai …contempler ..le désastre, mon Dieu ! comme j’aurais aimé les aider, les sauver
mais comment… que faire …
j’essayais cependant d’en remettre quelques unes à l’eau : mais rien à faire comme un jouet au ressort cassé elles demeuraient inertes dans leur élément
je pensais avec effroi qu’il ne fait pas bon naître dans la peau d’une grenouille un souvenir cruel de mes tendres années c’était il y a bien longtemps déjà
en ce temps là Brigitte Bardot n’était pas encore née
Félix Moreau – Treize-Septiers
Poèmes et Histoires de Vendée