Les Gars de chez nous
Les Gars de chez nous, histoires anciennes de Vendée
Quand Jean le boucher, avec sa camionnette brinquelante faisait de village en village sa virée
du samedi, il s’annonçait toujours bruyamment en lançant quelques sonores coups de corne
cette espèce de poire à lavement qui servait de klaxon aux bagnoles de ce temps là
On était en 36 et à cette époque, il n’y avait pas trente six façons de s’offrir un extra
C’était le règne du pot-au-feu dominical
Après avoir relevé la porte arrière de son véhicule ou étaient entreposés ses quartiers de viande
Jean sur son billot de bois, hachait, sciait,découpait, ficelait, toujours souriant,
flatteur et blagueur avec ses clientes
La mère Génie traînassait toujours de façon à se faire servir la dernière
C’est alors qu’à voix basse, elle se risquait à demander (Vous n’auriez pas un petit os)
pour accommoder mon bouillon
Ce samedi là donc, Jean le boucher l’avait particulièrement gâtée,
un énorme tibia à moelle, scié en deux
Avec ça, la p’tite mère.. il y aura des yeux sur la soupe. Mais … c’est le patron
qui me me sera redevable
La mère Génie avait très bien compris où il voulait en venir
aussitôt elle s’est tournée vers la grange
puis ,après avoir mis ses deux mains en porte -voix, elle a poussé un cri
de coq enroué E r r r r n e s t
Oh qu’est-ô l’a ?
Vins donc payer un verre à tchell homme
Ernest avait du bon noha et savait entretenir ses barriques, alors le Jean
qui ne crachait pas d’ssus
un verre, puis deux, puis trois, et pour bouquet final
une pompée à la barrique du fond. Celle-là Ernest en était fier
Comment que tu l’trouves… celui là ?
Jean éleva son verre vide à la hauteur de ses yeux, parut réfléchir
un instant avant de se prononcer
M’est avis que … que l’a comme un p’tit goût de retournez y
Là encore…çà voulait dire…c’que çà voulait dire ! et à force d’y retourner
çà vous chauffe les boyaux de la tête cette affaire là
l’ambiance était au beau fixe en sortant de la cave
Ernest est venu accompagner Jean jusqu’à son véhicule
C’est quoi ..au juste …cette bagnole là ?
çà c’est la b 14
l’abbé quatorze ! Voilà un gars qui d’vait pas être trop branché
Pince -sans -rire, Jean alors répliqué
C’était le dernier aumônier de chez Citroen
Ah bon !..enfin çà marche c’est le principal
Si çà marche….c’est peut-être cette petite phrase anodine
qui avait donné à Jean l’idée de jouer un bon tour à Ernest
Figurez-vous qu’au moment de partir,çà marchait pas du tout
Nos deux compères eurent beau s’escrimer à tournicoter à tour de bras
et à tour de rôle la manivelle,cette sacrée bagnole ne voulait plus rien entendre
Jean affichait une tête d’enterrement en faisant semblant d’ausculter les organes
sensibles du moteur
Quand à Ernest il était dépassé par le problème ,enfin Jean le boucher a dévissé
le bouchon nickelé du radiateur,il a jeté un coup d’oeil par le trou et de suite il s’est exclamé
Ah ben ! c’coup-là j’ai compris ; y a plus une goutte d’essence…comment est-.ce que je vais partir
La situation n’était pas belle.Compatissant Ernest lui a proposé son vélo pour aller
en chercher un bidon au bourg
Mais Jean .’venait d’avoir une autre idée
Mais ,bon sang ! il est costaud ton noha, il ferait peut-être bien l’affaire,si tu pouvais m’en filer un litre
l’instant d’après Jean versait la bouteille de pinard dans le ventre de la bagnole
puis il a revissé le bouchon du radiateur
un quart de tour de manivelle.Et voilà Jean le boucher reparti sur les chapeaux
de roues , laissant là un Ernest ébahi
Ah on en a parlé longtemps , et on en parle encore dans les caves de chez nous
Pensez donc …la bagnole à Jean … oui ,sa vieille bagnole verte … qui avait un nom de tchuré i
Et bien ! croyez moi si vous voulez … elle roulait au noha
FELIX MOREAU
85600 Treize-Septiers