Souvenir des moissons d’autrefois
Souvenir des moissons d’autrefois
Disons plutôt des métives
C’est un langage tellement plus poétique
pour un Bocain qui sirote encore ses souvenirs
d’avant guerre ,
moissons d’une époque révolue
les métives et ,si donc , cette appellation à la sauce
Vendéenne conserve toujours son charme exquis
dans nos coeurs de retraités , c’est qu’elles sont le
reflet de nos jeunes années
L’avenir était devant nous , plein d’espoir et de promesses
Il ne nous semblait pas fermé sur le monde du travail
Comme à la jeunesse d’aujourd’hui
La saison des métives mettait en branle
toute l’armée des bras valides
C’était la levée en masse
Souvent les artisans du bourg ,délaissaient
pour quelques jours leur atelier
Ces bourgadins et ces pésans
qui s’ironisent gentiment tout au long de l’année
ont conclu une alliance pour le sauvetage du pain quotidien
Ah ces champs de blé de notre bocage
morcelés à la mesure des forces humaines
ces blondes moissons enchâssées dans d’épais buissons
Ce Vilmorin de chez nous aux tiges altières
et aux épis joufflus
on allait affronter avec des moyens rudimentaires
ce n’était pas encore l’époque de l’automatisation
mais c’était cependant une sacrée belle mécanique
notre faucheuse dollé
parée de son armure de moissonneuse
et ils avaient la fierté des preux chevaliers à l’arme blanche
nos paysans d’autrefois
Une paire de boeufs ,dociles ,mais indolents
tractait la machine
On entendait le cliquètement de sa lame d’acier fonçant
sans cesse sur la muraille d’épis
Je revois encore mon père juché sur le siège métallique
s’aidant d’un râteau engreneur pour incliner ,sur la lame
les épis qui s’écroulaient en enfilade ,dans le tablier en lattes
de bois verni , les javelles qu’elle rejette dans son sillage
sont régulières et bien fournies
Femmes ou adolescents trois personnes,vont s’affairer à sa suite
c’était un coup de main à apprendre pour relever délicatement
la javelle avec le bec de la faucille
l’enrouler sur la jambe
avant d’aller la déposer bien empaquetée
deux sillons plus loin
,afin d’assurer le prochain passage de la machine
trois javelles formaient le contenu d’une gerbe
Déjà en ce temps là ,nous avions abandonné
le traditionnel lien de paille ,pour de robustes cordes
munies de boucles et de noeuds
,s’adaptant parfaitement à la bielle
cette longue aiguille de fer ,dont se servaient les lieurs
pour ceinturer la gerbe
affrontant les ardeurs du soleil ,les hommes et les bêtes
vont travailler durement ,jusqu’à la nuit
nous les trouvions bien pénibles ,ces journées harassantes
et pourtant
Vous avez bien de la chance d’avoir des machines
qui font le boulot
nous disaient les vieux d’avant la guerre de 14
derniers spécimens d’une race paysanne
qui avait métivé à la faucille ,depuis la nuit des temps
et qui étaient persuadés que le summun de la modernisation
agricole était désormais atteint
Puis brusquement ,bouleversant toutes les traditons
arriva ce monstre sacré autotracté ,dévoreur des moissons
capable de vous transformer en pelouse des hectares
de froment sur pied ,le temps de virer une crêpe
La poésie millénaire de la gerbe avait vécu
Félix Moreau